Juste avant que les marteaux ne se mettent en marche, on aurait pu croiser ce couple de quinquagénaires montant lentement les marches du perron, comme ils le faisaient chaque été depuis plus de vingt ans. Ils ont connu l’hôtel Château de la Messardière bien avant sa transformation, quand la pierre était encore brute, les couloirs plus sombres, les fenêtres plus épaisses. Ils y venaient pour l’atmosphère, pour la lumière du matin sur les tuiles, pour la terrasse où ils ont fêté un anniversaire, ou simplement pour l’habitude des lieux.
Ce matin-là, en retrouvant les échafaudages, les murs partiellement ouverts, les poutres mises à nu, ils auraient peut-être ressenti une forme de vertige. Comme si quelque chose de leur mémoire s’était déplacé. Où vont nos souvenirs quand les lieux qui les portent changent de forme ? Et qu’en reste-t-il, quand la matière qu’on croyait immuable commence à céder sous les outils ?
La déconstruction partielle est l’une des phases les plus sensibles d’un chantier. On avance entre ce qui doit partir et ce qui doit rester. Entre les hypothèses de l’étude et la réalité du terrain. Entre la volonté de libérer de l’espace, et la nécessité de préserver ce qui supporte, ce qui porte encore.
Mais déconstruire, c’est aussi prendre en compte le lieu où l’on intervient : limiter les nuisances pour les riverains, maîtriser la poussière, atténuer le bruit. C’est un travail de précision, d’anticipation, qui demande une lecture attentive du contexte immédiat. Et au-delà de l’instantané, c’est aussi prendre conscience de l’impact environnemental local: trier les déchets, recycler ce qui peut l’être, éviter le gaspillage, même dans ce qui est destiné à disparaître.
Sur le papier, tout semble clair : on ouvre ici, on dépose là. Mais une fois la pelle dans le mur, c’est une autre musique. On tombe sur une poutre noyée, un mur porteur oublié, un encastrement qu’aucun plan ne prévoyait. Et là, il faut décider vite, mais juste. Recaler les appuis, renforcer temporairement, revoir le phasage.
Ce moment-là, où tout bascule d’un cran, exige de l’expérience, de l’intuition, et beaucoup de dialogue entre les entreprises et la maîtrise d’œuvre.
Sur le chantier du Château de la Messardière, nous avons accompagné une transformation majeure dans un site emblématique de Saint-Tropez. Il s’agissait de réorganiser en profondeur certains volumes tout en conservant l’identité forte du lieu. Lors de la dépose partielle de planchers dans l’une des ailes, une instabilité est apparue sur un mur intérieur pourtant réputé stable. Les études structurelles avaient été faites, les repères posés. Et pourtant, lors de la dépose du dernier plancher, une fissure est apparue sur un mur voisin.
C’est dans ces moments-là que le rôle du maître d’œuvre prend tout son sens. Il ne s’agit pas seulement de vérifier, mais d’anticiper l’irréversible, de piloter le chantier. Faire parler les murs, lire les signes faibles, comprendre ce qui ne se voit pas encore. Ce travail en amont, c’est ce qui permet de basculer vers la suite sans compromettre le reste du chantier.
L’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) est souvent sollicitée pour des projets à forte complexité, où les enjeux sont multiples: techniques, patrimoniaux, financiers. Sur des chantiers en déconstruction partielle, son rôle peut être déterminant pour aider le maître d’ouvrage à comprendre les conséquences de chaque choix. Ce n’est pas qu’une question de coûts : c’est une question d’arbitrage global.
L’AMO agit comme un conseiller indépendant du client: il n’intervient pas directement dans la réalisation, mais l’éclaire dans ses décisions. À ce titre, il n’est pas responsable du résultat technique de l’ouvrage, mais bien de la qualité du processus de décision.
Nous accompagnons actuellement un client à Cap d’Ail dans le cadre du projet Villa Victoria, une redistribution complète des espaces d’une résidence avec des enjeux structurels importants. Chaque cloison supprimée entraîne une incidence sur les équilibres du bâti. En tant qu’AMO, notre rôle est de clarifier les implications, de proposer des alternatives en temps réel, et de garantir que chaque décision soit prise en pleine conscience des risques.
On imagine ce même couple, quelques mois plus tard, redécouvrant les lieux. Il y a eu des changements, bien sûr. Certaines choses ont disparu, d'autres sont devenues plus lumineuses, plus ouvertes. Et pourtant, ils reconnaissent les volumes, l’odeur du bois, la lumière à travers les arbres. Ce qui les avait touchés autrefois n’a pas été effacé, mais mis en valeur différemment. Leur mémoire retrouve sa place, adaptée, prolongée.
C’est aussi cela, la réussite d’une déconstruction partielle : permettre que le passé continue d’exister dans le présent, sous une autre forme. Accompagner la transformation sans rompre le lien. Donner à voir autrement, sans imposer l’oubli.
Ce qu’on appelle « démolition » ou « déconstruction partielle » n’est pas un simple préalable. C’est une phase-clé, à la fois physique et symbolique. Elle engage le projet dans une direction, sans retour possible. Elle expose ce qui tenait, met à nu les choix antérieurs, et demande d’assumer chaque geste.
Chez Oppidum, nous savons que c’est souvent là que tout commence. Et que bien accompagner cette phase, c’est poser les fondations réelles du projet à venir.
Dans cette dynamique, il est essentiel de bien comprendre la différence entre le maître d’œuvre (MOE) et l’AMO. Le premier est responsable de la bonne réalisation technique de l’ouvrage : il coordonne, arbitre, pilote les équipes sur le terrain. Le second, l’AMO, est un conseiller du maître d’ouvrage : il l’aide à faire les bons choix, en amont et tout au long du processus, sans intervenir directement dans l’exécution. Deux rôles distincts mais complémentaires, qui permettent de sécuriser, à la fois sur le fond et sur la forme, les projets complexes.